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13 mai 2014 -

La saisie contrefaçon : comment agir et réagir ?

Article paru dans Le Bijoutier International n° 809  

Toute victime d’actes de contrefaçon peut agir en justice afin de faire respecter ses droits de propriété intellectuelle et solliciter réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte portée à ses droits.

Le succès de son action dépendra pour l’essentiel des preuves qu’elle aura pu constituer afin de démontrer la matérialité et l’étendue des actes de  contrefaçon.

Il est constant que la victime d’actes de contrefaçon peut rapporter la preuve de l’atteinte portée à ses droits par tous moyens. Elle peut notamment faire procéder à des constats d’huissier sur les sites internet, à des constats d’achat, ou autres moyens probatoires.

Néanmoins la voie de la saisie contrefaçon est sans conteste la procédure la plus complète en vue de l’obtention des preuves nécessaires à la défense des droits de propriété intellectuelle.

Les modalités d’obtention et d’exécution des mesures de saisie contrefaçon ont été précisées par la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007, dite de lutte contre la contrefaçon puis par la loi n°2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon.

L’huissier peut ainsi, sur autorisation judiciaire obtenue par l avocat, procéder à la saisie :

            - des produits contrefaisants (soit de la totalité présente en stock soit d’échantillons selon les cas)

            - des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer illicitement des produits contrefaisants.

            - tous documents se rapportant à la contrefaçon (documents techniques, commerciaux, comptables, etc)

« L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux œuvres prétendument contrefaisantes en l'absence de ces dernières. »

De telles opérations permettent ainsi au titulaire de droits de rapporter la preuve tant de la matérialité de la contrefaçon que de son étendue et son origine : appréciation de la masse contrefaisante, indications relatives aux fournisseurs et aux réseaux de distribution, etc. Ces éléments sont d’une importance déterminante pour évaluer  les préjudices subis directs ou indirects.

La nouvelle loi introduit un tout nouvel article permettant à la juridiction « d’ordonner, d'office ou à la demande de toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon, toutes les mesures d'instruction légalement admissibles même si une saisie-contrefaçon n'a pas préalablement été ordonnée ». (Art L521-4, L615-5-1-1, L623-27-1-1, L716-7-1, L722-4-1 du Code de la Propriété Intellectuelle).

1. A quelles conditions peut-on diligenter une saisie contrefaçon ?

Les opérations de saisie contrefaçon ne peuvent être réalisées qu’après été avoir autorisées par voie judiciaire. Cette autorisation est sollicitée, par voie de requête, auprès du Président du Tribunal de Grande Instance compétent.

Elles peuvent être sollicitées par toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon. Il s’agit naturellement en premier lieu du titulaire du droit de propriété intellectuelle revendiqué. Cette possibilité est également offerte, sous certaines conditions, au titulaire d’un droit exclusif[1] d’exploitation.

L’organisation des opérations de saisie contrefaçon suppose une préparation scrupuleuse en amont.

Il convient à cet égard de déterminer avec précision les coordonnées de la société qui sera saisie, ainsi que les lieux où devront s’opérer les opérations (siège social, établissement principal, entrepôt, plate-forme logistique, établissement secondaire abritant la comptabilité, etc.) L’efficacité des opérations de saisie contrefaçon est subordonnée à cette nécessaire précision. En cas d’échec des premières opérations de saisie contrefaçon, il est en effet fort probable, qu’averti de la saisie, le ou les auteurs des faits de contrefaçon dissimulent les preuves recherchées.

2. Comment réagir face à des opérations de saisie contrefaçon ?

Les opérations de saisie contrefaçon constituent une véritable intrusion au sein de la société saisie.

 Elles sont menées par un huissier, éventuellement accompagné d’experts (informaticiens, comptables, photographes, techniciens,…) et de la force publique le cas échéant.

 L’huissier procède aux investigations sur les lieux de la saisie et prend copie d’éléments techniques et comptables liés aux faits de contrefaçon commis.

 C’est pourquoi le déroulement des opérations de saisie contrefaçon est subordonné à un formalisme strict et à des conditions de validité dont le périmètre d'action est circonscrit par le code de propriété intellectuelle et la jurisprudence.

 Préalablement à ses opérations, l’huissier se doit de signifier à la personne saisie la requête et l’ordonnance, en vertu de laquelle il est autorisé à agir. Cette signification est primordiale pour assurer les droits de la défense du saisi. Le premier réflexe de la personne saisie doit être de prendre connaissance des termes de la requête et d’étudier attentivement les termes de l’ordonnance. Cette lecture lui permettra non seulement de connaître les faits qui lui sont reprochés, mais également l’étendue de la mission confiée à l’huissier.

 La validité des opérations de saisie contrefaçon est appréciée par les Tribunaux avec une sévérité accrue. Le caractère exorbitant de droit commun des opérations de saisie contrefaçon conduit en effet les juges à apprécier de manière stricte le respect par l’huissier des termes de l’ordonnance.

 Tout dépassement par l’huissier des limites fixées par l’ordonnance est ainsi de nature à entrainer la nullité (totale ou partielle) des opérations de saisie contrefaçon. 

 La jurisprudence récente retient notamment comme cause de nullité des opérations de saisie contrefaçon la présentation au saisi des pièces visées à l’appui de la requête dès lors que l’ordonnance ne l’y autorisait pas expressément[2].

 Outre les moyens de faire annuler le procès-verbal de saisie contrefaçon pour dépassement par l’huissier du cadre de sa mission, deux voies de recours s’offrent au saisi selon les droits de propriété intellectuelle:

-       le référé rétractation : Article L332-2 du CPI : cette procédure a pour but de réintroduire un débat contradictoire sur le bien-fondé de l’ordonnance (le juge des référés examinera si la requête n’était pas légitime ou si l’ordonnance contient une nullité). Le juge peut prononcer la mainlevée de la saisie ou en cantonner les effets.

-       l’annulation pour non-respect du délai d’assignation : Le nouvel article L332-3 du CPI issu de la loi du 11 mars 2014 prévoit désormais, comme c’est le cas en matière de dessins et modèles, droit des brevets et droit des marques, l’annulation de « l’intégralité de la saisie » à défaut pour le demandeur de s’être pourvu au fond, au civil ou pénal, ou d’avoir déposé plainte près le Procureur de la République dans le délai de 20 jours ouvrables ou 31 jours civils « sans que le saisi n’ait à motiver sa demande ».

La saisie contrefaçon se présente comme un instrument extrêmement efficace à l’encontre des contrefacteurs, mais dont le bon déroulement et le succès sont soumis au respect d’exigences de forme croissantes afin de trouver un juste équilibre entre les exigences de la lutte contre la contrefaçon et les droits de la défense.

 Si les droits de la défense doivent être de toute évidence respectés, il ne faut pas oublier ceux de la victime qui se trouve être économiquement spoliée du fait des actes de contrefaçon.

 La victimisation de la délinquance et l’usage sans limite du  principe "administratif" de précaution conduisent trop souvent à une pauvre réparation du préjudice subi  au regard de l’abondance des gains générés par les actes de contrefaçon.

 Favoriser la compétitivité et la croissance nationales, mots d’ordre positionnés en priorités absolues à juste titre à l'échelle nationale, suppose une bienveillance contrôlée en faveur des victimes de la contrefaçon.

  

Corinne CHAMPAGNER KATZ

Avocat au Barreau de Paris, spécialisée en Propriété Intellectuelle

Charlotte GALICHET

Avocat au Barreau de Paris, Associée.


[1] En matière de droit des dessins et modèles, droit des brevets et droit des marques.

[2] Cass. 1re civ., 2 avr. 2009, n° 08-10.656 : JurisData n° 2009-047652.

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